Alors que le nombre de grévistes dépasse maintenant le cap du 290 000 à travers la province (si on inclut la grève du 22 mars 2012), il convient de noter que les gestionnaires de certaines universités, comme McGill, Concordia et l’Université de Montréal, envoient des missives à leur personnel et aux étudiantEs dans lesquelles ils prétendent que la notion de grève serait limitée aux travailleuses et travailleurs en vertu du Code du travail (L.R.Q., chapitre C-27). Par conséquent, ils qualifient le mouvement comme étant plutôt un simple boycott et prétendent que les enseignantEs devraient se présenter aux cours malgré les votes de grève des associations étudiantes et menacent les étudiantEs avec des représailles académiques en cas d’absence et/ou de défaut de remettre des travaux.

Au-delà de constituer une source d’intimidation politique provenant de parties qui n’ont aucune neutralité dans le débat (il convient de rappeler que la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec est un fervent défenseur de la hausse), cette directive est basée sur des inexactitudes historiques importantes et est contraire à l’esprit, sinon la lettre de la Charte canadienne des droits et libertés (Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11) ainsi que la Charte québécoise des droits et libertés (L.R.Q., chapitre C-12).

Dans un premier temps, il convient de rappeler que le droit de grève chez les travailleuses et travailleurs n’a pas été créé par le Code du travail.  Ce droit est bien antérieur à l’adoption de cette loi et trouve ses origines dans les mouvements ouvriers du XIXème siècle.  Phénomène international de contestation, le droit à la grève fut ainsi élevé au rang des droits fondamentaux à l’échelle internationale par sa reconnaissance dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qui date de 1966, qui fut par ailleurs ratifié par le Canada.

De plus, ce moyen de pression, qui se trouve à la croisée des chemins entre la liberté d’association et la liberté d’expression, fut utilisé à plusieurs reprises dans les démocraties modernes à des fins qui dépassaient largement les conflits de travail. En effet, les auteurs Guy Groulx et Jean-Marie Pernot affirment que : «Tout au long des XIXème  et XXème siècles, la grève se confond ainsi avec un profond besoin de démocratie, de démocratie sociale»[1]. Ils soulignent à cet effet que les enjeux de la grève dépassent souvent les motifs « purement professionnels » et rappellent entre autres la grève antifasciste du 12 février 1934, les grandes grèves insurrectionnelles de la Libération, les grèves de 1958 pour la défense des libertés républicaines, celles de 1961 contre le coup d’État d’Alger, etc. Les auteurs concluent ainsi : « Dans ces contextes, la grève n’est plus simplement l’un des produits de la démocratie moderne; elle est aussi garante de la démocratie politique – ce qui explique d’ailleurs qu’elle fût longtemps interdite dans la plupart des dictatures (…)»[2].

Le phénomène plus spécifique de la grève étudiante remonte aussi loin qu’à l’année 1443, à l’Université de Paris.  À cette époque, les étudiants ont déclenché une grève pour s’opposer à l’application de la loi criminelle de la couronne aux membres de la communauté universitaire.  Plus récemment, au XXème siècle,  il est possible de repérer plusieurs exemples de grèves étudiantes et ce, dans plusieurs pays. En Haïti, ce sont les étudiantEs qui se sont soulevés contre la dictature de François « Papa Doc » Duvalier en premier.  En effet, ils ont manifesté dans un premier temps contre la loi martiale et la loi électorale antidémocratique, toutes deux imposées en 1949 ainsi que contre les élections frauduleuses en 1950.  Ayant subi une répression musclée de l’État, ils ont déclenché une grève en 1960 afin de faire libérer leurs camarades arrêtés par la gestapo duvaliériste.

Ailleurs dans le monde, on ne peut oublier les événements de mai 1968 en France qui ont commencé par une révolte étudiante.  Toujours en France, de façon plus contemporaine, nous pouvons citer le mouvement de 2006 contre le fameux « contrat de première embauche », qui a aussi débuté par des grèves étudiantes dans les institutions universitaires et qui a réussi à obtenir le retrait du projet par le gouvernement.  Plus récemment, il y eut la grève étudiante au Chili en 2010, ayant notamment pour objet de dénoncer la privatisation du système d’éducation du pays sous la dictature de Pinochet.

Au Québec, la grève est apparue au XXème siècle comme étant l’outil principal au soutien des revendications étudiantes.   La première grève répertoriée est celle d’une journée en 1958 pour abolir les frais de scolarité et favoriser l’accès aux études supérieures.  Cette grève, ayant réuni 21 000 étudiantEs, fut suivi par le fameux sit-in de trois mois dans le bureau de Duplessis par trois étudiants de l’Université de Montréal. La grève générale de l’automne 1968, quant à elle, avait pour objet la démocratisation des institutions et de la pédagogie, la création d’une deuxième université de langue française à Montréal et une plus grande accessibilité aux études (prêts et bourses, gel des droits de scolarité).  Cette grève fut soldée par l’obtention de la plupart des demandes et a mené à la création de l’UQÀM.  Une autre grève sur la perception des frais de scolarité a duré cinq (5) semaines en 1973.  En 1974, il y eut une autre grève pour dénoncer les tests d’aptitudes aux études universitaires, qui furent abolis un mois après la mobilisation sans pour autant mettre fin à cette grève qui a ensuite visé le système des prêts et bourses, qui fut bonifié en raison de celle-ci.  D’autres mobilisations ont eu lieu en 1980, 1983 (avec le Front Commun et aussi pour l’adoption d’une loi sur la reconnaissance des associations étudiantes, ce qui fut fait), 1986, 1988, 1990, 1996 et finalement en 2005.  N’oublions pas que cette dernière grève, ayant mobilisé environ 230 000 étudiants à son sommet, s’est conclue par une acceptation de la part du gouvernement de non seulement négocier avec une partie des associations étudiantes mais également de rembourser 103 millions de dollars en bourses qu’il avait converti en prêts.

 

Les luttes étudiantes et plus précisément les grèves étudiantes ne sont donc pas une création nouvelle.  Et contrairement à ce que prétendent les directions de certaines institutions, ces grèves, ne constituent pas des « boycott » mais de véritables grèves au sens ouvrier du terme.  En effet, cette fausse conception de boycott émane d’une vision clientéliste de l’éducation, où l’étudiantE serait le client qui obtiendrait un service purement personnel d’une compagnie, en l’occurrence, l’Université.  Or, l’étudiantE n’est pas unE clientE mais un travailleur/une travailleuse intellectuelLE qui contribue, de par son apprentissage et sa participation académique, au savoir collectif de la société.  De plus, il est possible de distinguer la grève d’un simple mouvement de boycott par ses buts et son ampleur.  En l’occurrence, on ne vise pas à « boycotter » une ou des institutions d’enseignements.  On suspend plutôt sa participation et son apport intellectuel afin d’obtenir des concessions de la part du gouvernement qui gère en partie les conditions pour l’obtention de l’éducation.  En ce sens, le mouvement s’apparente à plusieurs égards au mouvement ouvrier.  La situation pourrait être différente et avoir les allures d’un boycott si, en raison des agissements de McGill par exemple,  les étudiantEs se donnaient le mot d’ordre de ne plus appliquer à cette institution et aller offrir leur effort intellectuel ailleurs.

Il convient de noter en dernier lieu que ces institutions semblent assez timides sur l’application de leurs directives à ce jour, sans doute en raison d’une résistance de la part des professeurs et des chargées de cours qui ne veulent pas devenir des instruments de cette répression.   De plus, plusieurs autres institutions reconnaissent d’emblée la légitimité de ce mouvement et annulent carrément les cours et/ou négocient des protocoles de grève avec les associations étudiantes (ex : UQÀM, UQTR, la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université Sherbrooke).

N’oublions pas non plus la fameuse Loi sur l’accréditation et le financement des associations d’élèves et d’étudiants, (L.R.Q., chapitre A-3.01) promulguée en 1983 à la suite d’une grève étudiante, qui fut calquée à plusieurs égards sur le Code du travail.  En effet, l’article 4 de cette loi, qui garantit le droit de chaque étudiantE de faire partie d’une association d’élèves ou d’étudiants de son choix et de participer à la formation de cette association, à ses activités et à son administration, est en tous points similaire à l’article 3 du Code du travail qui reconnaît les mêmes droits aux salariéEs. De plus, l’accréditation d’une association étudiante lui donne le statut de représentante unique des étudiantEs, tout comme l’association accréditée en vertu du Code du travail.  Par surcroît, même si cette Loi ne prévoit pas la grève, elle ne l’interdit pas non plus.

Par conséquent, nous sommes d’avis que les grèves étudiantes constituent une composante essentielle du droit à la liberté d’association dans le milieu étudiant.  À ce titre, nous sommes d’avis que la répression injustifiée du droit à la grève serait contraire aux Chartes.

Nous sommes également d’avis qu’imposer des mesures de représailles académiques contre les étudiantEs en raison de leur participation à la grève pourrait constituer de la discrimination basée sur les convictions politiques.  Dans une société où nous accommodons (avec raison à notre avis) les croyances religieuses en permettant, par exemple, les congés et les pauses pour ces motifs, il serait complètement déraisonnable et injuste de pouvoir pénaliser les étudiantEs pour leurs convictions politiques, surtout lorsqu’elles s’inscrivent dans le cadre d’un mouvement aussi large que celui-ci.    Et c’est encore plus étonnant considérant que cette répression viendrait des institutions universitaires, qui sont censées être à l’avant-garde des développements juridiques et démocratiques.

Finalement, en tant que juristes, nous désirons souligner que malgré les apparences, un droit n’est pas créé par voie législative, mais arraché au terme de luttes politiques et sociales importantes.  Et pour le préserver, il faut l’exercer.  Alors, nous disons aux étudiantEs : Vive le droit à la grève. Et à travers lui, vive la démocratie.

 


[1] La Grève, Groulx et Pernot, 2008, « La Grève » Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris, p. 10.

[2] Idem.