C’est de manière tragique que s’est terminé cette fin de semaine le plus long conflit de travail du milieu journalistique québécois. Après vingt-cinq mois de lutte et de résistance acharnée, les travailleuses et travailleurs du Journal de Montréal se sont finalement résignés à accepter la proposition de Quebecor. Ce dénouement amer aura pour conséquence l’élimination de près de 200 emplois qui sont autant de salariés et salariées qui se retrouveront sur le pavé.

L’heure est désormais au bilan. Les travailleurs et travailleuses comme les observateurs et observatrices dénoncent à la fois  le capitalisme sauvage dont a fait preuve Quebecor  et l’absence de riposte musclée de la part de la CSN. Il est vrai que la reconquête d’un véritable rapport de force et la reconstruction d’une véritable capacité de mobilisation populaire émanant de la base est un défi qui se pose à l’ensemble du mouvement syndical.  Mais peu importe les retombées politiques de ce conflit, il demeure une réalité indéniable : les lois du travail, telles qu’interprétées par les tribunaux, demeurent impuissantes pour faire face à ce genre de situation.

Les dispositions anti-briseurs de grève ont été incorporées dans le Code du travail en 1977 afin de tenter de rétablir un certain rapport de force entre les salariés et les patrons et ainsi limiter la durée et l’intensité des conflits de travail.  Or, à la lumière d’un conflit comme celui au Journal de Montréal, un conflit au cours duquel l’employeur a pu continuer à opérer pendant que les salariés et salariées sont restés sur le trottoir pendant vingt-cinq mois avant de devoir plier l’échine, force est de constater que le Code ne fait plus le poids.

Présentement, l’alinéa b) de l’article 109.1 du Code du travail prévoit qu’il est interdit à un employeur, pendant la durée d’une grève ou d’un lock-out :

b) d’utiliser, dans l’établissement où la grève ou le lock-out a été déclaré, les services d’une personne à l’emploi d’un autre employeur ou ceux d’un entrepreneur pour remplir les fonctions d’un salarié faisant partie de l’unité de négociation en grève ou en lock-out;

Or, les tribunaux ont interprété la notion d’utilisation comme nécessitant un acte positif,  celui de solliciter le travail, permettant à un employeur qui en bénéficie de ne pas être affecté.  De plus, l’exigence d’établissement a été interprétée comme nécessitant la preuve que le travail était effectué dans un établissement physique, même si, dans le domaine médiatique, le lieu physique où œuvre le salarié varie selon ses assignations et est rarement statique.

Conséquemment, l’interprétation de cette clause par les tribunaux, telle la Commission des relations du travail,  a fait en sorte que le Journal de Montréal a pu opérer à l’aide de briseurs de grève, sans toutefois être condamné à ce titre. De plus, malgré la durée du conflit et la présence d’un projet de loi permettant au moins de pallier à ces deux lacunes, le gouvernement n’a fait aucun geste pour rectifier la situation.   Nous voilà donc deux ans plus tard, face à un dégât qui aurait pu être évité.

Le conflit au Journal de Montréal est peut-être terminé, mais le vrai problème ne fait que commencer.  Il ne faut pas que la volonté de moderniser ces dispositions reste lettre morte, au prix de devoir vivre un autre conflit aussi long et douloureux.

Association des juristes progressistes