Cette note a été préparée par l’Association des juristes progressistes (AJP), un rassemblement d’avocats et d’avocates, d’étudiants et d’étudiantes et de travailleurs et travailleuses voués à la défense des droits et déterminés à mettre le juridique au service de la lutte pour la justice sociale et la fin des inégalités. Elle vise à informer les citoyen-ne-s et les groupes de la société civile qui désirent organiser certaines activités de nature politique pendant la présente campagne électorale provinciale, que ces dernières soient à finalité informative ou militante. Celle-ci ne constitue pas un avis juridique. Pour obtenir des informations supplémentaires, veuillez consulter le site Internet du Directeur général des élections au http://www.electionsquebec.qc.ca/.

Les tiers et les interventions publiques de nature politique

La Loi électorale[1] (ci-après, Loi) n’interdit pas aux tiers, c’est-à-dire les personnes qui ne sont pas membres d’un parti politique ou qui n’agissent pas au nom d’un parti et les personnes morales autres que les partis politiques, toutes formes d’interventions publiques de nature politique. Toutefois, la Loi encadre ces activités en imposant certaines règles à quiconque intervient dans la sphère publique pendant la période électorale[2]. Ces règles concernent les dépenses électorales qui se définissent comme suit dans la Loi :

402. Est une dépense électorale le coût de tout bien ou service utilisé pendant la période électorale pour:

1°  favoriser ou défavoriser, directement ou indirectement, l’élection d’un candidat ou celle des candidats d’un parti;

2°  diffuser ou combattre le programme ou la politique d’un candidat ou d’un parti;

3°  approuver ou désapprouver des mesures préconisées ou combattues par un candidat ou un parti;

4°  approuver ou désapprouver des actes accomplis ou proposés par un parti, un candidat ou leurs partisans.

Il est à noter que ces dépenses ne peuvent être faites ou être autorisées que par l’agent officiel d’un parti ou d’un candidat (articles 413 et 415).

Afin de ne pas être considérée comme une dépense électorale aux yeux de la Loi et ainsi être légale, l’intervention du tiers doit correspondre à l’une des exceptions énoncées à l’article 404 de la loi que nous reproduisons partiellement ici :

404. Ne sont pas des dépenses électorales

1°  la publication, dans un journal ou autre périodique, d’articles, d’éditoriaux, de nouvelles, d’entrevues, de chroniques ou de lettres de lecteurs, à la condition que cette publication soit faite sans paiement, récompense ou promesse de paiement ou de récompense, qu’il ne s’agisse pas d’un journal ou autre périodique institué aux fins ou en vue de l’élection et que la distribution et la fréquence de publication n’en  soient pas établies autrement qu’en dehors de la période électorale;

2° le coût de production, de promotion et de distribution selon les règles habituelles du marché de tout livre dont la vente, au prix courant du marché, était prévue malgré la prise du décret;

3°  la diffusion par un poste de radio ou de télévision d’une émission d’affaires publiques, de nouvelles ou de commentaires, à la condition que cette émission soit faite sans paiement, récompense ou promesse de paiement ou de récompense;

[…]

12° les dépenses, dont le total pour toute la période électorale n’excède pas 200 $, faites ou engagées pour la tenue de réunions, y compris la location de la salle et la convocation des participants, pourvu que ces réunions ne soient pas organisées directement ou indirectement pour le compte d’un candidat ou d’un parti;

13° les dépenses de publicité, dont le total pour toute la période électorale n’excède pas 300 $, faites ou engagées par un intervenant particulier autorisé conformément à la section V du présent chapitre pour, sans favoriser ni défavoriser directement un candidat ou un parti, soit faire connaître son opinion  sur un sujet d’intérêt public ou obtenir un appui à une telle opinion, soit prôner l’abstention ou l’annulation du vote;

Le statut d’intervenant particulier

L’intervenant particulier est un électeur ou un groupe d’électeurs ne possédant pas la personnalité morale[3] qui effectue des dépenses de publicité qui n’excèdent pas 300$ au cours d’une période électorale « pour, sans favoriser ni défavoriser directement un candidat ou un parti, soit pour faire connaître son opinion sur un sujet d’intérêt public ou obtenir un appui à une telle opinion, soit prôner l’abstention ou l’annulation du vote »[4]. Contrairement au tiers qui agit sans recevoir de contrepartie, c’est-à-dire sans recevoir un paiement, une promesse de paiement ou une récompense, l’intervenant particulier doit obéir aux dispositions particulières s’appliquant à ses activités en vertu de la Loi[5].

Les intervenants particuliers peuvent agir soit à titre d’intervenant particulier-électeur, soit à titre d’intervenant particulier-groupe. Les règles qui s’appliquent aux deux formes d’intervenants sont les mêmes, à l’exception que le groupe doit nommer un représentant qui sera la seule personne habilitée à faire les dépenses[6]. Ces règles se résument notamment par l’obtention préalable de l’autorisation au cours de la période électorale (art 457.2), ne pas être membre ou devenir membre d’un parti politique pendant la période électorale (art 457.3 et 457.12), faire des dépenses qui sont en lien avec sa demande et qui ne favorisent ou qui ne défavorisent pas directement un candidat ou un parti (art 457.13), ne pas dépenser plus de 300$ en publicité, la remise d’un rapport comptabilisant toutes les dépenses de l’intervenant particulier (art 457.18), etc.

Les tiers et les médias sociaux

La prochaine campagne électorale sera sans doute la première campagne dite 2.0. au Québec. Twitter, Facebook et YouTube semblent tomber à l’extérieur du cadre légal instauré par la Loi électorale. L’utilisation de ces médias est gratuite et n’est pas considérée comme une dépense électorale. Toutefois, si, par exemple, des fonds sont engagés pour la réalisation d’un vidéo diffusé sur YouTube, ces fonds peuvent être considérés comme des dépenses électorales.

Décisions sur les interventions des tiers au cours d’une campagne électorale

En janvier 2012, la Cour suprême du Canada (CSC), le plus haut tribunal du pays, a refusé l’autorisation d’en appeler d’une décision de la Cour d’appel du Québec concernant la participation des tiers au cours de la campagne électorale. La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) et six syndicats affiliés remettaient en question la constitutionnalité de la Loi électorale au nom de la liberté d’expression. La Cour supérieure et la Cour d’appel vont rejeter les arguments de la FTQ et vont soulever l’importance d’assurer la primauté du rôle d’électeur, l’égalité des chances entre les candidats et les partis politiques et l’équité du processus électoral; d’assurer l’intégrité et la transparence du processus afin de maintenir la confiance du public dans les institutions; et finalement d’assurer que les candidats et partis politiques puissent donner leurs points de vue sans que le débat ne soit concentré ou récupéré par ceux et celles qui ont accès à d’importants moyens financiers (voir Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec c. Québec (Directeur général des élections), 2010 QCCS 956 au para 49).

La Cour supérieure et la Cour d’appel du Québec conviennent que les dispositions de la Loi peuvent porter atteinte à la liberté d’expression, mais l’objectif et les moyens utilisés par la Loi et le Directeur général des élections sont raisonnables.  Les atteintes à la liberté d’expression par la Loi électorale, reconnues par les tribunaux, se justifient donc au sens de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés de la personne. La Cour suprême, en rejetant l’appel, confirme la constitutionalité des dispositions de la Loi électorale concernant les tiers.

Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec c. Québec (Directeur général des élections), 2010 QCCS 956http://www.canlii.org/fr/qc/qccs/doc/2010/2010qccs956/2010qccs956.html

Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 7649 (FTQ) c. Québec (Directeur général des élections), 2011 QCCA 1043: http://www.canlii.org/fr/qc/qcca/doc/2011/2011qcca1043/2011qcca1043.html


[1] Loi électorale, LRQ, c E 3.3.

[2] Cette période commence le lendemain du jour de la prise du décret ordonnant la tenue d’une élection et se termine le jour du scrutin à l’heure de fermeture des bureaux de vote, Loi électorale, art 401.1.

[3] La majorité des personnes physiques qui constituent le groupe doivent posséder la qualité d’électeur.

[4] Loi électorale, art 404.13.

[5] Section V (Autorisation des dépenses des intervenants particuliers) qui apparaît sous le Chapitre VI relatif au contrôle des dépenses électorales, art 457.2 et suiv.

[6] Pour une présentation exhaustive de ces règles veuillez consulter les guides de l’intervenant particulier à l’adresse suivante : http://www.electionsquebec.qc.ca/francais/formulaire/provincial.php#tax_2. Il est important de noter que l’intervenant particulier est passible d’une amende de 1 000 $ à 10 000$ s’il fait une fausse déclaration, s’il remet un faux rapport ou s’il produit une pièce justificative faux ou falsifié et d’une amende de 500 $ à 10 000$ s’il contrevient à certaines dispositions de la Loi électorale (voir les guides de l’intervenant particulier pour les détails des dispositions pénales).